J'articule ma deuxième newsletter autour d'un mot de l'ancien français venu des coureurs des bois québécois, commerçants itinérants dès le 17ème siècle. 'S'enforester' signifiait partir dans les forêts canadiennes pour vivre parmi les autochtones et les non-humains. Aujourd'hui, je dirais qu'il nous faut nous enforester pour retrouver du lien, laisser la forêt nous imprégner de ses mystères et de ses richesses, arpenter ses chemins en se rappelant de tout ce qu'elle nous offre. Dans nos contrées tempérées, la forêt a été et reste notre premier bien, habitat et nourricier.
L'appel de la forêt
La forêt sert de décor à de nombreux récits depuis la nuit des temps. C'est un lieu hautement ambivalent. Forêt sacrée ou forêt maudite. Refuge d'innocents, repaire de brigands, foyer d'ermites, surface à exploiter, ou espace de loisirs. Lieu de passage, de transition, d'expériences. La forêt peut être dangereuse, inhospitalière, anxiogène, loin d'être ce refuge de ressourcement parfois idéalisé.
Aujourd'hui, la forêt semble reprendre un nouveau souffle, on parle des arbres comme d'êtres vivants, de la forêt comme d'un formidable écosystème. Face à l'hégémonie de l'industrie et de la technologie, à l'ère du numérique, je suis convaincue que le contact avec la forêt peut contribuer à recréer du lien entre vivants. Nous laisserons-nous toucher par le murmure des arbres ? Marcherons-nous encore capable de nous émerveiller ? Rêverons-nous d'emprunter des chemins tierces, inexplorés, avec le vivant ? L'appel de la forêt comme une prière aux étoiles.
Coup de coeur : les furtifs d'Alain Damasio
Les livres d'Alain Damasio fouettent, bousculent, immergent dans des mondes anticipatifs politiques. L'écrivain français réinvente aussi la langue française, il joue avec les mots comme un muscien, se fait fi de la synthaxe, ce qui peut en irriter certains et complexifier la lecture, mais également la rendre surprenante et inventive.
Dans son livre 'les furtifs', le monde connecté, l'intelligence artificielle ou encore le libéralisme sont accentués au point où l'espace public n'existe plus, où tout est sous contrôle, hiérarchisé et monnayable, à l'instar de l'accès aux rues et aux parcs. Dans cette société hyperconnectée, les individus sont constamment surveillés et catalogués par des dispositifs technologiques. L'Etat et les grandes puissances veulent traquer ceux qui leur échappent, ceux que l'on nomme les furtifs. Ils sont des êtres vivants complexes, invisibles, intraçables. Ces êtres sont une menace pour ceux qui tiennent les rênes du pouvoir et un espoir pour ceux qui ont soif d'autonomie et de liberté. J'ai beaucoup aimé ce livre qui interroge sur l'évolution de notre société, une ode à l'amour du vivant.
Extrait : "Ce qu’ils veulent, je vais vous dire : c’est que l’informatique soit fondue dans les comportements. Ils veulent une techno sans couture, qu’on remarque plus, qu’on sente plus. La meilleure des technos, c’est la techno qui disparaît. Tout se contente de fonctionner, voilà."
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